En dernière année de Master à l’Université Protestante au Congo (UPC), j’ai rédigé, comme toute ma promotion d’ailleurs, un projet commercial dans le cadre d’un cours à forte pondération. Ledit projet avait un besoin de financement de 42 000$ dont 43% (18 000$) de coût d’investissement et le reste comme coûts d’exploitation pour les premiers trois mois d’activité.
A la question de savoir comment financer ce projet, je répliquais : « En ouvrant l’actionnariat à d’autres étudiants. En clair, il m’aurait alors suffi de convaincre 420 étudiants d’investir 100$ chacun en plusieurs tranches sur deux ou trois mois.
« Christopher, crois-tu réellement qu’un étudiant d’un pays pauvre, comme le nôtre, peut penser investir dans une entreprise ? En a-t-il seulement les moyens ? Est-ce dans notre culture ? »
Au vu des interrogations légitimes que suscite ce mode de financement, d’aucuns pourraient conclure qu’il est impossible, dans le contexte congolais, de le mettre en œuvre.
Pourtant la mise en commun des ressources financières n’est pas chose nouvelle en RD Congo : les tontines en sont la preuve. Jusqu’ à il y a très peu, ma mère avait encore recours à celles-ci pour financer l’achat de marchandises pour sa boutique. A partir du moment où l’on peut épargner, on peut forcément investir.
Les étudiants congolais peuvent-ils épargner ? La réponse est évidemment oui.
A titre d’illustration, l’UPC, université privée située à Kinshasa, compte plus de 8000 étudiants. Les frais académiques par étudiant varient entre 700$ et 1500$ annuel selon les facultés et promotions. La majeure partie des étudiants de cette université figure probablement dans la tranche des 20% des congolais qui vivent avec plus de 2$ par jour (PNUD, 2016). Certains dépensent même jusqu’à 4$ par jour rien que pour le transport et la restauration.
Pour affiner le potentiel d’investissement de ces étudiants, l’on peut se focaliser sur la tranche qui possède le plus de revenu. A défaut d’une étude poussée sur ce critère, l’on peut émettre des hypothèses en ne considérant que les 20% des étudiants les mieux lotis (principe de Pareto) soit 1600 étudiants.
Admettons que ceux-ci épargnent chacun au quotidien 0.42$ soit 10$ mensuel, cela représenterait un potentiel de 16 000$ d’investissement le mois pour des start-ups et des entreprises congolaises.
Et là je vois venir: « Pourquoi des étudiants accepteraient-ils d’investir? »
Compte tenu de leur profil, on peut ressortir plusieurs raisons dont les trois suivantes :
Si des étudiants se cotisent pour fêter des anniversaires, aller en soirée, acheter des smartphones ; alors ils peuvent forcément le faire pour des financements productifs dans des entreprises ou des start-ups congolaises.
Le taux d’intérêt créditeur (rémunération de l’épargne) varie d’une banque à une autre et se négocie en fonction du montant et de la durée du dépôt. Pour moins de 100 000$ les principales banques congolaises proposent un taux créditeur annuel de 3% environ pour des dépôts à terme (6 mois).
Ce taux a l’air alléchant en comparaison de ceux pratiqués en occident notamment. Toutefois, il suffit de le confronter au taux d’inflation de 7.19% prévue cette année, afin de se rendre compte qu’il constitue une perte de pouvoir d’achat de plus de 4% pour les épargnants.
« Ne pas se retrouver au chômage » est l’une des préoccupations majeures des étudiants, surtout en fin de cycle. Financer la création ou la croissance des entreprises c’est mathématiquement se créer de nouvelles opportunités d’obtenir un emploi à la sortie de l’université. C’est également, pour les entrepreneurs en herbe, se créer des marchés potentiels pour leurs futurs produits et services.
Ce sont des ressources efficaces pour financer des investissements à amortissements pluriannuels : l’acquisition d’un outil de production ou d’un logiciel par exemple. Elles pourraient être collectées sous forme d’actions avec comme contrepartie la copropriété de l’entreprise et des dividendes annuels ; et/ou sous forme d’obligations à moyen terme avec comme contrepartie des intérêts annuels d’au moins 7% l’an.
Associées à la « love money » et aux fonds propres, ces ressources peuvent notamment être des alternatives crédibles aux business angels pour aider les start-up à créer un prototype et à le tester sur le marché cible. Elles pourraient tout aussi être, dans une certaine mesure, des alternatives au capital-risque et au capital-investissement.
Signalons toutefois que mobiliser ce type de financement, avec ou sans plateforme, demande une certaine préparation. Il faut décrypter les besoins particuliers des investisseurs cibles, les réunir, avoir un pitch convaincant, émettre les titres et gérer la levée de fonds dans le temps.
Je vois venir la question : « Quelles sont les garanties pour les investisseurs ? ».
Dans les cinq critères à prendre en compte avant d’octroyer un crédit, le plus important demeure « le caractère » de l’emprunteur. C’est en partie la raison pour laquelle dans nos sociétés si communautaires, le microcrédit repose davantage sur les garanties sociales plutôt que sur les garanties matérielles.
Dans un contexte africain de micro-investissement, je pense que la crainte de voir son image ternie ou carrément d’être exclu de sa communauté, est supérieure à celle de voir sa garantie matérielle liquidée pour recouvrement des fonds. L’investissement repose essentiellement sur la confiance. Selon le cas, ces deux types de garanties peuvent néanmoins être combinés pour plus d’efficacité.
En sus de ces garanties, certains mécanismes peuvent atténuer le risque de contrepartie. On peut alors imaginer par exemple :
Cet article illustre concrètement le potentiel du micro-investissement à Kinshasa. A travers ces lignes, on a vu comment une communauté de 1600 étudiants pouvait générer assez de cash pour financer des entreprises ou des projets. Nous avons épinglé quelques raisons d’investir tout en évoquant les garanties pour les investisseurs. Nous avons également insisté sur le fait que la garantie sociale serait, comme en microcrédit, la plus efficace.
Le format « short » de cet article ne me permet pas d’argumenter à ma guise sur le sujet, mais il a au moins le mérite de poser le jalon d’une réflexion similaire sur d’autres groupes d’individus. L’on peut imaginer, par exemple, une communauté de 250 salariés qui peuvent investir chacun 100$ mensuel.
L’on peut tout aussi imaginer un écosystème hétérogène constitué de dizaines de communautés homogènes mises en réseau. Lesquelles communautés ayant juste la taille adéquate pour favoriser une garantie sociale efficace.
Aussi devons-nous reconnaître que les ressources financières existent en abondance mais qu’il nous faut apprendre à les mobiliser. Nous devons être pragmatique et sortir de l’overdose de réflexions qui favorise notre inanition morale.
Il est temps qu’on se prenne en charge. « A défaut d’être tous entrepreneurs, l’on peut tous être investisseurs ».